– La loi Macron vise à rendre plus rapide et plus sûre la justice prud’homale en encadrant les délais. Qu’en pensez-vous ?
Il est difficile à ce jour de commenter une loi qui n’est pas entièrement votée, pas encore soumise le cas échéant au Conseil Constitutionnel et enfin pas encore promulguée.
Le Gouvernement a exprimé le souhait d’une justice prud’homale plus rapide en encourageant la conciliation soit par des règlements à l’amiable alternatifs (médiation conventionnelle ou procédure participative, dispositif déjà instauré par la Loi du 22 décembre 2010), soit en accélérant la procédure de jugement elle-même.
Actuellement, Le Bureau de Jugement est composé de deux Conseillers salariés et deux Conseillers employeurs.
Si le Bureau de Jugement ne parvient pas à trancher le litige, le dossier est renvoyé devant un Juge professionnel dit « Départiteur », ce qui engendre mécaniquement un allongement du délai de procédure (à Paris, environ 12 mois compte tenu du volume d’affaires à traiter).
Le projet prévoit qu’en cas d’échec de la conciliation, le Bureau de Conciliation, qui se dénommera Bureau de Conciliation et d’Orientation (BCO), pourra d’office ou de droit, si toutes les parties sont d’accord et par simple mesure d’administration judiciaire (donc non susceptible de recours), renvoyer le dossier devant une formation de Jugement présidée par un Juge professionnel.
Le projet a aussi prévu, dans certains cas, un Bureau de Jugement restreint, qui devra statuer dans un délai maximal de 3 mois.
Ceci ne règle pas le problème d’un éventuel départage et, dans cette hypothèse, l’affaire sera renvoyée devant le Bureau de Jugement présidé par un Juge professionnel.
Toutefois, contrairement aux règles mises en place devant les juridictions administratives sur les contentieux des licenciements économiques, le non-respect du délai de 3 mois ne serait pas sanctionné, tout comme aujourd’hui l’obligation pour un Bureau de Jugement de trancher certains litiges sous un mois (prise d’acte de rupture, etc.)
Je ne veux pas préjuger sur ce que sera, au final, la réforme, mais, si celle-ci n’est pas accompagnée de moyens matériels supplémentaires et d’un renforcement du nombre de Greffiers, et enfin, d’une fusion de certains Conseils de Prud’hommes qui jugent peu de litiges et qui ne sont présents que pour des raisons historiques ou pour des intérêts locaux particuliers, la réforme risque de n’avoir pas les effets escomptés.
Quant à une justice plus « sûre » qui sous-entend que les conseillers prud’hommes actuels n’auraient pas la compétence suffisante pour juger, ce qui pour moi n’est pas une réalité, la loi imposera une obligation de formation renforcée pour les conseillers.
– Que pensez-vous des mesures de la loi Macron sur les licenciements économiques ? Certains pensent qu’elles pourraient entrainer d’importants reculs pour le droit du travail et la protection des salariés. Êtes-vous de cet avis ?
Cela relève du fantasme ou de l’idéologie.
La règlementation globale des licenciements économiques est incontestablement protectrice des salariés même si certaines dispositions doivent être revues sans toucher à l’économie générale des textes qui est de trouver un équilibre entre la nécessité de devoir supprimer des postes et la protection des salariés.
À titre d’exemple, il faut rappeler que la loi de sécurisation de l’emploi, applicable depuis le 1er juillet 2013, prévoit, pour les grands licenciements économiques (entreprise de 50 salariés et plus, licenciement de 10 salariés et plus sur 30 jours), la possibilité de signer un accord collectif majoritaire pour déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, les modalités de consultation du Comité d’entreprise et de mise en œuvre de licenciement en permettant, en particulier, une application de cet accord par établissement et non au niveau de l’entreprise, permettant aussi d’arrêter les critères d’ordre de licenciement par exemple, au niveau d’un établissement ou d’un atelier, etc.
En l’absence d’accord, l’employeur (qui est souvent représenté par un mandataire de justice dans le cadre d’un dépôt de bilan), ne peut pondérer les critères d’ordre comme il le souhaite et les critères s’appliquent aujourd’hui donc exclusivement au niveau de l’entreprise.
Cependant, ce niveau d’appréciation n’est pas adapté aux situations concrètes et ne règle pas par sa complexité la question du maintien de l’emploi.
Or, contrairement aux vœux du législateur qui pensait pouvoir tarir les contentieux de contestation des licenciements économiques collectifs, les Tribunaux administratifs et les Cour administratives, ont été saisis de nombreux dossiers dont la plupart concernaient plusieurs centaines de salariés et qui, au final, faisaient supporter pour l’essentiel le coût des condamnations par l’AGS et donc par la collectivité en mettant ainsi en péril un système de garantie des salaires pourtant totalement nécessaire et qui est un socle de la justice sociale.
Le projet Macron prévoit que le document unilatéral de l’employeur pourra permettre à l’entreprise de fixer des critères d’ordre de licenciement en deçà du périmètre de l’entreprise avec toutefois un périmètre qui ne saurait être inférieur à celui de chaque zone d’emploi dans lesquelles sont situées un ou plusieurs établissements de l’entreprise, les conditions d’application étant à définir par un Décret dont je n’ai pas connaissance du contenu.
Ces nouvelles dispositions devraient réduire de manière significative certains contentieux administratifs des grands licenciements.
Dans la mesure où l’administration (par les DIRECCTE voire, au niveau ministériel pour certains dossiers) suit la procédure de licenciement dès le début de celle-ci , et le réalise en pratique avec objectivité, tant la loi de sécurisation de l’emploi que le projet Macron ne peuvent caractériser un recul, quoi qu’en disent certains de mes confrères et une partie de la Doctrine, la protection du salarié ne se mesurant pas à l’aune des volumes des contentieux.
– Quels sont aujourd’hui les grands enjeux, sur le plan législatif, dans la pratique du droit social ?
Indépendamment de la mise en place de la Loi Macron actuellement en discussion, le nouveau chantier concerne le dialogue social et il s’agit d’un chantier essentiel.
Sans entrer dans le débat du seuil de déclenchement des IRP qui est un vrai sujet, la complexité des textes concernant le fonctionnement des institutions représentatives du personnel (essentiellement CE et CHSCT) tend à fragiliser les décisions prises par les employeurs, et ce, de manière parfois inutile et contre-productive.
S’agissant spécialement du CHSCT dont l’utilité est, en soi, incontestable, a vu ses prérogatives augmentées par strates successives.
Cette institution engendre des contentieux judiciaires parfois, voire souvent, inutiles, chronophages et coûteux, puisqu’au final c’est l’entreprise qui paye faute de budget propre et sans que la finalité même du CHSCT, à savoir la protection de la santé des salariés, soit toujours avérée.
Qui plus est, quelques cabinets spécialisés d’experts profitent de cette situation sans apports essentiels pour les salariés de l’entreprise, et ce, malgré un contrôle renforcé de l’administration du travail sur lesdits cabinets.
La fusion CE-CHSCT pourrait permettre de rendre plus simples et cohérents les rapports entre les élus et l’employeur, et ce, pour un coût maitrisé.
L’entreprise gagnerait en compétitivité, mais aussi en sérénité.
Pierre Brégou, Président de Caravage Avocats, Avril 2015
Article paru dans le magazine Décideurs : Stratégie, Fiance, Droit
L’Annuaire Leadership & Management du Capital Humain – Avril 2015